Fondé en 1819, le Cercle littéraire est idéalement situé sur la place Saint-François. Avec l’Abbaye de l’Arc toute proche, implantée quant à elle à Montbenon, il est l’un des rares survivants des principaux lieux de sociabilité créés à Lausanne aux XVIIIe et début du XIXe siècle, à une époque où le chef-lieu vaudois pouvait s’enorgueillir aussi du Cercle du Bourg, plutôt aristocratique, ou encore de ceux de la Palud et du Commerce, fréquentés par la bourgeoisie locale. Ces deux dernières associations fusionnent en 1842, puis sont elles-mêmes absorbées, en 1850, par le Cercle littéraire.
En dépit de sa longue histoire, ce havre de paix reste largement ignoré du public, car ses salons feutrés sont réservés, sauf occasions exceptionnelles, aux seuls initiés. Dès sa création, en effet, le cercle réunit une élite dont les membres sont issus surtout des professions libérales. Ils y apprécient les avantages qu’offrent de discrets échanges inter pares, ainsi qu’un accès direct aux principaux journaux politiques, scientifiques et littéraires du moment. Initialement plutôt austère, ce bastion masculin prend un nouvel essor à partir de 1841 avec l’autorisation de plaisirs virils tels que le tabac, l’alcool, les jeux de billard et de cartes. Le Cercle ne s’ouvre aux femmes qu’en 1993.
Le présent ouvrage marque le bicentenaire de cette institution et éclaire des champs nouveaux par rapport aux précédentes études historiques, dues à la plume de Charles Gilliard (1966) et de Maurice Meylan (2007). Guillaume Poisson, puisant en partie dans le vivier du Cercle, a su s’entourer de brillants historiens qui évoquent notamment les sociétés sœurs (très mal connues jusqu’ici et absorbées au milieu du XIXe siècle), et détaillent l’histoire du bâtiment ainsi que celle des diverses collections qu’il abrite.
On lit avec plaisir et profit les textes de Jacques Poget (Billard et tabagie), Michel Schlup (Lecture et sociabilité), Damiano Bandelli (Le Cercle de la Palud), Etienne Hoffman (Le Cercle du Commerce), Guillaume Poisson (Le Cercle Littéraire), Dave Lüthi et Carl Magnusson (Le bâtiment et ses architectes), Pierre-André Rieben (La bibliothèque), Olivier Meuwly (Le Cercle littéraire et l’histoire suisse), Jean-Pierre Villard (La géographie au Cercle), Daniel Maggetti (Le Cercle et la littérature romande), Catherine Dubuis (Une collection particulière, les films Plans-Fixes), Ulrich Schädler (Les jeux), enfin Laurent Langer (La collection artistique).
A partir de la fin du XXe siècle, le rayonnement de cette institution dépasse largement la fonction de club privé, le Cercle devenant un haut-lieu de la littérature romande. Comme le souligne Daniel Maggetti, certains de ses présidents, qui appartenaient au jury du Prix Michel Dentan (l’une des plus prestigieuses distinctions culturelles de Suisse romande), ont fait du Cercle littéraire le cadre privilégié de la remise solennelle de cette gratification. En outre, ces salons élégants abritent désormais diverses célébrations littéraires, causeries, tables rondes, conférences, lectures, rencontres anniversaires ou vernissages.
Il faut relever l’écriture remarquablement homogène des divers chapitres de cet ouvrage, dus pourtant à une palette d’auteurs très variés. Richement illustré, ce livre permet d’appréhender en profondeur deux siècles de culture ouverte sur le monde et rend ainsi plus accessible une institution culturelle lausannoise à laquelle ont appartenu (et appartiennent encore) nombre de personnalités de premier plan. Discret, mais non pas secret, le Cercle littéraire ne craint pas de se faire mieux connaître.
Zitierweise:
Bisgger, Paul: Rezension zu: Poisson, Guillaume (dir.): Les trésors du Cercle littéraire de Lausanne. Deux siècles de collections patrimoniales 1819-2019, Genève 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1, 2020, <https://svha-vd.ch/cr13/>